Ils ont de la chance

Ish, Johanna, Vanessa et Diego ont vraiment de la chance.

Ish a 24 ans, soit juste un de plus que moi. Il est hollandais et papa. Il vit dans la chambre à côté de la cuisine, parce qu’elle est moins cher. Ish travaillait dans les call center près de Puerto Madero, il s’est fait viré récemment, il cherche un emploi. Ici son job était très bien payé d’après lui, 2500 pesos par mois, soit environ 480€. Je ne connais pas son CV, mais ce qui est sûr c’est qu’il parle anglais, hollandais et se débrouille en espagnol quand il fait l’effort. Il bosse dans une compagnie hollandaise, qui délocalise ses centres d’appels en Argentine pour payer la main d’oeuvre moins chère, c’est plutôt courant, Google est en train de ramener ses centres d’appels ici, puisque c’est le seul endroit du monde où l’on trouve autant d’italiens en dessous de l’équateur. De l’argent qu’il gagne, Ish en donne une partie à son ex femme qui garde l’enfant. Son fils a 9 mois, il l’a vu une fois. De l’argent qui reste Ish paye son loyer 700 pesos, 125€. Il reste la nourriture, le linge et la vie. Quand il est à la maison, il se fait sacrément chier. Il ne sait pas jouer de guitare, la télé reste la télé, et il n’a pas de pc. Sortir coûte souvent, alors il sort peu. Il n’a pas d’amis, en ennemis je citerai simplement son avocat et son ex femme. Quand il travaillait il se levait à 5h tous les matins pour mieux coller aux horraires européens. Il avait même une carte pour aller en taxi au boulot car le métro est fermé.
En rentrant tout à l’heure, il m’a dit qu’il avait un nouveau job, qui payait mieux que l’ancien, il reste donc plusieurs mois supplémentaires, pour signer les papiers, essayer de voir son fils au moins une autre fois (la mère a un peu pété les plombs et ne veut pas qu’elle le voit), et rentrera en Europe, le temps de mettre de l’argent de côté et reviendra quand son sera son tour de voir son fils.


Johanna a 29 ans. Pourquoi elle vit ici, c’est un mystère. C’est une gringa, elle vient des states (prononcez bien le a). Elle donne des cours d’anglais mais ne parle pas espagnol. Elle donne des cours pour améliorer le niveau en entreprise, business english (yes you too?) Par conséquent elle n’enseigne pas vraiment à des débutants, elle améliore juste. Elle donne 35 sessions de cours d’au moins une heure par semaine, plus les déplacements entre les différents établissements, soit bus, marche ou subte. Johanna se lève tous les jours à 6h pour rentrer beaucoup plus tard dans la fin d’aprem-début de soirée. Elle sort peu car elle n’a pas le temps, et dort le WE pour rattraper sa fatigue. Elle prend des cours d’espagnol depuis mars avec une professeur qui vient deux fois par semaine. Elle dit elle-même qu’elle a arrêté d’y croire. Elle n’est pas faite pour apprendre. Elle comprend ses mauvais élèves quand elle se voit frente al idioma castellano. Johanna remet en question et ne voit pas l’intérêt de dire un ou une pour des objets qui, de façon évidente, n’ont pas de sexe. Après que son mec escaladeurnettoyeurdebuildingsetaussihommedescavernes ait passé 1 mois ici et qu’ils se soient frités, elle oscille entre deux « dates », c’est la copa d’america latina, 2 jeunes hommes de 23 ans, respectivement argentin et brésilien. Johanna, c’est un peu mon sexe in the city de 19à20h. Je dois donc sucessivement me mettre dans la peau des garçons d’ici et imaginer comment ils réagiraient. C’est dur. Mais ça lui donne le sourire, elle aime bien ici. Elle avait vécu 1 an en Korée avant, et sinon le Yosemite park était sa dernière demeure, où elle bossait en tant que barmaide dans une boîte. Elle a son pc dans sa chambre et passe le plus clair de son temps derrière la porte. Elle ne veut pas avoir d’enfants, et pour le prince charmant, on verra.


Vanessa a 31 ans. C’est ma boss ici. Vanessa est une enfant de l’art. Elle multiplie les activités en tout genre. Chaque semaine elle varie entre danse contemporraine, cours d’anglais, jogging, pose pour des peintres, caissière au théâtre, cours de guitarre, répétitions de théâtre, entraînement de hockey sur gazon et cours de théâtre. L’anglais était évidemment pour pouvoir s’entretenir avec Johanna, sa voisine de chambre. Le reste fait partie d’une volonté d’apprendre et de faire grandir et grossir sa tête, où un besoin de rémunération. Elle vit également de la sous-location des chambres de l’appart que nous habitons. Elle ne veut pas d’enfants non plus, un dimanche de temps en temps avec les sobrinos (neveux) ça lui suffit amplement. Elle se ballade dans Buenos Aires en bicyclette car elle n’aime pas les collectivos. Son prince charmant idéal doit faire la queue comme les autres, et il doit pas être du genre à être dans les premiers arrivés. C’est elle qui me fait sortir dans le bar de rockeros, qui nous emmène au théâtre voir son ami Gerardo qui était à la Vilette en tournée avec une troupe il n’y a pas si longtemps.

En rentrant aujourd’hui de l’école, je me suis arrêté plaza congreso, devant le congrès donc, à deux pas de chez moi, et terra, la télévision locale voulait me demander mon avis sur les faits. Quels faits? Ils venaient de planter des tentes de soutien au gouvernement devant le congrès. Donc le campo, opposé au gouvernement (suivez bien c’est pas trop compliqué ils sont que deux), a défilé et manifesté devant les tentes, et plus tard vers 13H, ils montaient eux aussi leur tente sur la plaza congreso 200 mètres plus loin. Je leur ai raconté ma vie 2 minutes et j’ai suivi mon chemin, non fier de moi. Mais c’est pas ça qui est intéressant, c’est ce qui arrive. J’ai rencontré Diego.


Diego a 37 ans. Dans un sens c’est beaucoup, et en même temps, c’est toujours trop tôt. Il habite dans la rue depuis 3 mois. Il était cuisinier et il s’est fait viré. Il n’a pas trouvé de travail, il n’a pas pu payer l’appartement et se retrouve dans la rue. Il allait faire sa photo à l’église quelques cuadras plus loin pour recevoir un logement du côté de constitucion. Avec Diego on est voisins, moi j’habite à côté de la plaza, alors que lui se permet le luxe d’habiter sur la place, face au congrès. Il avait faim et froid. Il n’a plus de famille, plus personne, comment on peut perdre tout le monde à 37 ans? Il a beaucoup maigri, perdu des dents et a des échymoses sur les mains. Maintenant il connaît les autres clochards de la place. Avant il habitait la Boca, il m’a bien conseillé de faire attention si j’y retournais. Il fume deux paquets de cigarrettes par jour, c’est sa principale activité. Et puis il faut les trouver quand même, 40 cigarettes à taxer. Le soir à 21H il y a une camionette qui vient et qui donne de la soupe, mais c’est peu. La camionette, c’était la raison pour choisir la plaza congreso plutôt qu’un autre coin. Sinon tu ne manges pas. Il m’a donné rendez vous, tous les jours à midi, chez lui : plaza congreso. Lui il y sera, tant qu’il habitera la rue. Personne ne sait pour combien de temps encore. Il a le sida. Relisez, ça passe mieux.

Non, franchement, ils ont vraiment de la chance.

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