Monnaies libres = free currencies?
Depuis près d’un an que j’ai quitté l’association du Transitioner, j’entends parler et j’utilise très fréquemment l’expression des « monnaies libres » pour parler de ces nouveaux indicateurs, d’une grande libération de la monnaie telle que nous la connaissons aujourd’hui, mais aussi d’un spectre de lecture plus large de la Richesse. Après un an de recherche, de navigation, de voyages dans l’univers de la richesse, des indicateurs de richesse et des moyens d’échange de ces richesses, j’aimerai revenir pour clarifier ce que nous mettons et mélangeons souvent dans « monnaies libres ».
Les différentes formes de richesse
J’ai appris avec The transitioner qu’il y avait différents types de richesse, celle qui peut s’échanger: les biens, les services, le temps, celle qui peut se mesurer: la qualité, la taille, la complexité, et enfin la richesse qui peut se reconnaître: l’amour, la beauté, la splendeur etc..
La richesse qui s’échange
Ce que nous appelons traditionnellement monnaie répond à la question de l’échange. L’argent est un accord, à l’intérieur d’une communauté, d’utiliser quelque chose, comme moyen d’échange. Dans ce sens, les nouvelles monnaies, qu’on les appelle sociales, locales, communautaires, complémentaires ou libres sont des pansements pour satisfaire les besoins d’échanges des communautés qui :
1) n’ont pas accès à la monnaie traditionnelle
2) souhaitent essayer autre chose, valoriser d’autres types de produits ou limiter à certains types de produits
En général, il s’agit de réinjecter un moyen de lien dans une zone qui n’arrive plus à se lier à l’aide de la monnaie traditionnelle, soit par pénurie soit par insatisfaction de la monnaie traditionnelle. Il faut alors constituer une communauté et trouver quelle est la charte de valeur qui nous unit? Quelles sont les règles que nous voulons établir ensemble? Peut-on la dépenser pour acheter du pétrole? Peut-on la dépenser pour des OGM? pour acheter des armes? Peut-on la dépenser à l’extérieur de notre communauté?
Il s’agit ici de choisir la couleur de notre monnaie. L’écologie et l’économie sont inséparables et si l’économie traditionnelle et le PIB ne reconnaissent pas complètement la richesse humaine ou la richesse de la qualité de l’environnement, c’est à nous, ensemble, de choisir la couleur de cette monnaie, de dire ce qu’elle autorisera et ce qu’elle n’autorisera pas. D’une certaine façon, la monnaie est comme un vecteur, et nous devons lui donner un sens, lié au bien-être de la planète pour que les deux soit en lien et dans un sens vertueux, sans quoi nous retomberons sur les mêmes problématiques que le système traditionnel: crises économiques, crises écologiques etc..
Ainsi une monnaie locale privilégie les échanges locaux, une monnaie sociale apportera plus de qualité dans les échanges humains ou un développement social (par opposition au capital), une monnaie complémentaire montre patte blanche dans le sens où elle ne cherche pas à bousculer l’ancien système, elle vient compléter et non remplacer le système en place. Les monnaies libres ouvrent la perspective d’un code source transparent et propre, visible et disponible à tous. Tous ces termes ne sont donc pas opposés, à mon sens on peut très bien imaginer une monnaie locale, complémentaire et libre.
La richesse qui se mesure, les indicateurs de richesse
La qualité de l’air n’est pas une richesse que je peux échanger, mon taux de glucide n’est pas non plus quelque chose que je peux échanger, mais je peux le mesurer, et cette indication me donne des informations si je suis ou non en bonne santé. Pour la richesse qui se mesure, nous avons créé un grand nombre d’indicateurs de richesses qui dépassent les limites du PIB. Ils ne sont pas nouveaux, nous connaissons les hôtels 3 étoiles, les pistes rouges, les notes des professeurs ou les titres liés à des diplômes. A l’ère de l’information ces indicateurs sont partout, aussi bien dans le questionnaire marketing sur la satisfaction client après un achat en ligne, dans les étoiles que je mets à une vidéo youtube, dans
L’évolution et la différence avec avant
Avant l’Internet, il ne nous venait pas vraiment à l’idée d’échanger notre maison pendant les vacances avec un couple en Italie, d’accueillir un américain sur notre canapé, de vendre notre platine vinyle à un allemand ou d’échanger un appareil photo contre un ordinateur. Idem, je n’avais pas à l’idée d’organiser un voyage en voiture avec des inconnus, ou encore de prêter ma perceuse à quelqu’un de mon quartier. Toutes ces interactions sont apparues et devenues réelles grâce aux plateformes de mise en relation, d’échanges de biens et de services, à la consommation collaborative, aux services nés grâce à Internet. Il est soudainement devenu possible d’échanger, de parler, de me coordonner avec des inconnus parce que nous avions des besoins communs. Pour chercher dans cette jungle, nous avons créé des indicateurs pour pouvoir qualifier ces propositions en fonction de nos besoins.
La particularité de ces nouveaux indicateurs est qu’ils se sont multipliés à une vitesse incroyable. Ils sont partout, dans notre quotidien, ils sont mesurés, traités et étudiés afin d’améliorer les performances des systèmes que nous utilisons, soit par nous, soit par des machines.
Indicateur objectif ou subjectif?
Sur covoiturage.fr par exemple, je peux noter avec des étoiles une des personnes qui m’a transporté, je peux aussi agrémenter son profil d’un commentaire qualitatif. Lors de ma prochaine recherche, je favoriserai les personnes ayant obtenues des étoiles et des commentaires à des inconnus. Dans les systèmes automatisés, ces informations de mesure donnent des feedbacks au système qui peut alors réguler automatiquement les commandements pour réduire les temps de latence, allouer au mieux l’espace, le temps de processeur etc.. Pour ce qui est de l’humain, nous sommes sur des sujets plus difficiles à mesurer puisqu’une grande subjectivité entre en jeu. Mesurer la qualité de l’air ou le temps d’un process mécanique peut se faire automatiquement sans subjectivité, mais quand il s’agit de mesurer la qualité d’une vidéo youtube, la qualité d’un vendeur ebay ou la sympathie de mon covoitureur, les grilles d’évaluations et le feeling de la dimension humaine font apparaître une notion inévitable de subjectivité.
Si en Anglais le terme free currencies correspond bien à ces nouveaux indicateurs de richesses car currency a un sens très large de mouvement (lié au courant)
1650s, « condition of flowing, » from Latin currens, prp. of currere « to run » (see current); the sense of a flow or course extended 1699 (by John Locke) to « circulation of money. »
en français le mot monnaie n’a pas ce sens et c’est pour moi une confusion importante de mélanger les deux. Je propose donc que nous arrêtions d’utiliser l’expression « monnaies libres » pour parler de ces indicateurs et que nous parlions plutôt de « nouveaux indicateurs libres de richesses ».
La richesse qui se reconnaît
La beauté, l’amour, la sympathie, la reconnaissance sont des formes de richesse que nous voyons tous les jours. On ne peut les échanger et les mesurer les dénature car elles sont par essence en quantité non mesurable. Certaines classifications (dans les toutes dernières slides) font une différence entre celles qu’on peut classer sans mesurer: je préfère radiohead à supertramp. Par contre pour mettre une note à un groupe de musique sans le vider de la relation intime et humaine que j’ai avec lui me paraît difficile. Ici encore on peut éventuellement parler de currency en anglais, mais le mot monnaie ne correspond pas. Indicateur de reconnaissance?
Conclusion
Si free currencies regroupe et enveloppe beaucoup de significations différentes, l’expression monnaies libres est maladroite dans sa traduction et ne correspond pas pour les différents niveaux de richesse. Bien que la monnaie puisse aussi avoir des fonctions de mesure et de réserve de valeur, utiliser le terme de monnaies libres pour des indicateurs de richesse met un flou qui n’aide ni le public à qui nous en parlons ni nous-même dans nos schémas mentaux. J’espère que cette explication fait sens, j’attends vos commentaires pour affiner les mots qui pourraient être les plus pertinents pour ces différentes formes de « currency ».
D’accord avec toi, il y a là une confusion. Mais peut-être que la confusion vient de la finalité de l’échange. Il faudrait peut-être utiliser le terme « monnaie libre » pour un échange matériel ou un service immatériel demandant de la connaissance et « indicateur libre » comme échange de reconnaissance, sympathie, connaissance…
Il y a un autre terme qui me dérange, et à mon avis le flou est de la même nature, c’est la notion de « société d’abondance ». Il faudrait préciser ce qui abonde. J’ai bien compris que nous changeons de paradigme et de valeur, et ce qui abonde est naturellement sympathie, reconnaissance et savoir… et non plus une richesse financière et matérielle.
A mon avis, pour que notre future soit écologiquement viable dans la nouvelle société qui s’annonce, ce qui doit croitre est la connaissance, le savoir, l’amitié… des valeurs de vie et d’amour (immatériel).
Par contre, la production matérielle doit décroitre absolument. (destructeur de ressources, ou plutôt destructeur dans nos process de transformation, qui doivent être améliorés : efficacité énergétique)
Il faut donc une décroissance quantitative et une croissance qualitative. Cela mériterai d’être précisé dans le concept de société d’abondance. (Que je renommerai plutôt en société de la connaissance, t’auras compris que j’ai du mal avec ce terme « abondance »)…
Dans ta bio (en haut à droite), tu ne fais justement pas distinction entre matériel et immatériel.
Le matériel demande des ressources qui sont en quantité limitées. Il faut donc augmenter la qualité des produits (étiquette énergie, étiquette bidouillabilité, tracabilité des produits…)
Dans l’immatériel, une part se copie à l’infinie (divx, mp3, .doc, .pdf…), pour cela, de nouveaux concepts de distribution et rémunération doivent être trouvés (j’ai pas trop d’exemple en tête). Mais c’est justement là que l’on peux faire intervenir des indicateurs libres. (réputation du zicos, qualité du film, qualité d’un rapport…)
L’autre part de l’immatériel est celui de la connaissance. Par exemple tu as fait un rapport de 30 pages sur les monnaies libres, et tu veux en faire une plaquette qui résume ton rapport en une image ou 2. Tu ne sais pas faire de PAO (enfin j’en sait rien, c’est pour l’exemple :-). Tu vas donc faire appel à quelqu’un qui a cette compétence et qui sait utiliser photoshop et compagnie.
Au final donc, tu as produit de la connaissance, et tu fais appel à un tiers qui a de la connaissance pour produire une nouvelle forme de connaissance ! L’homme est au cœur de l’échange. Il me semble qu’une monnaie libre a dividende universel est le plus adapté à ce type d’échange…
@ManUtopiK: oui Manu, tu as raison!
La société d’abondance prête à confusion car il faut savoir abondance de quoi? et là s’opère effectivement une bonne distinction entre la croissance matériel qui connaît des limites individuelles et planétaires, aussi bien dans les ressources dispos que dans la destruction de l’atmosphère etc.. et la croissance immatériel: connaissance, amour, liens, et le partage de cette culture numérique qui est incomparable avec ce que nous connaissions avant..
Il faut que je reprécise tout ça! Merci pour ce judicieux commentaire! 🙂
Y’a pas de quoi !
J’ai retrouvé le terme que je cherchais et qui défini l’immatériel qui a de la valeur : intangible asset
http://en.wikipedia.org/wiki/Intangible_asset
Je n’ai aucune idée comment le traduire en français…
Oui, il y a une grande confusion en ce qui concerne la notion de « valeur », qui souvent se limite à la valeur financière.
Mais la difficulté c’est de passer de la théorie à la pratique, pour expérimenter de nouvelles manières d’échanger. Par exemple, je me suis inscrit au SEL de ma région et je ne fais pas le pas suivant qui consiste à entrer dans l’échange.
L’argent est un outil tellement puissant, facile à utiliser, qu’il est très difficile de changer de système.
Très intéressant !
Je n’avais jamais remarqué cette différence linguistique !
Une monnaie peut avoir tellement d’utilisations en parallèle qu’il faut déjà savoir à quoi elle va nous servir ?
– à capitaliser ?
– à échanger en choisissant le moins cher ? (d’où la classification sans mesure)
– à étalonner une valeur ?
Séparément ou tout en même temps ?
ça me rappelle ma lecture du « Manuel d’anti-économie » de Didier Lacapelle qui démonte les dogmes de l’économie. Il montre qu’un grand nombre d’économistes célèbres ont eu pour but de trouver l’origine de la valeur. (C’est comme ça que Marx en est venu à trouver que les patrons exploitent leur ouvriers.)
Pour certains, la valeur vient de la rareté, pour d’autre du temps de travail, et finalement personne n’est d’accord… jusqu’au moment de fixer un prix. Dans l’art on voit bien que la notion de valeur est très différente pour une personne ou pour une autre. Certain vont dépenser des fortunes pour un objet insignifiant pour quelqu’un d’autre !
La notion de valeur n’as de validité que pour un communauté restreinte et concernée par l’échange.
Pour être le plus juste possible, les monnaies, ou plutôt les indicateurs doivent être les plus locaux possibles.
Donc on va, à l’avenir, vers une multiplication des indicateurs, des monnaies.
Et c’est tant mieux.
Merci pour toutes ces réflexions.
Ce petit modèle emboité des richesses correspond assez bien à la répartition de notre temps actif que je propose pour chaque individu: affectif; social; productif.
contrat mixte productif-social
Bien entendu, c’est le domaine à dominante sociale qui n’a pas trouvé sa place. J’avais envisagé une monnaie fondante pour ce domaine; aucune monnaie pour le domaine affectif et une monnaie accumulable pour le domaine productif.
L’emboitement suggère une représentation du monde alors que le schéma de répartition de l’activité que je propose est un schéma d’organisation. C’est donc différent, mais la relation entre les deux me donne à méditer.