Apprendre à gérer l’abondance
En école de commerce, j’ai appris à gérer la rareté:
Trouver une idée géniale, la breveter, mettre des barrières à l’entrée, consolider un projet. Comme on vit dans un monde qui tourne avec l’argent rare, pour le rendre beau et avant d’investir trop dans un projet, il faut savoir s’il intéressera quelqu’un à l’achat, ce que l’on apprend avec une étude de marché, des sondages, une prise de température du marché. Une fois qu’on a préparé notre produit pour pouvoir descendre dans l’arène, on choisit la stratégie: à qui on le vend, combien, comment, pourquoi, dans quel contexte et puis la question éternelle: comment créer le besoin et susciter le désir?
Le but est donc avec une idée, un investissement minimum de trouver un marché maximum avec un prix et une rentabilité maximisée.
Ce qui est rare dans ce contexte, c’est peut-être l’idée, sûrement le produit, sa recette, ses secrets de conceptions, son accès et son mode de construction.
C’est rare car je choisis de le rendre rare au début, en mettant des barrières à l’entrée, afin d’avoir un monopole, de garder le contrôle et d’être le seul à posséder le secret d’accès à cette ressource. L’information c’est le pouvoir. C’est rare car si je le partage avec tous, je ne suis pas sûr d’obtenir encore suffisamment d’entrées d’argent, si je le partage, la pureté du processus peut être déformée, dénaturée, ne plus respecter mes critères ou ma façon de voir. Si je partage et donne l’autorisation aux autres de le modifier, de le retoucher et de faire des bénéfices avec, je prends un risque: je lâche un peu du contrôle et du pouvoir que j’avais pris. Souvent, ce qui m’empêche de partager, c’est la peur de manquer. Exprimer d’une autre façon c’est récolter les gains que j’ai engendré: j’ai réfléchi, j’ai pris des risques, j’ai convaincu des investisseurs, alors pourquoi ne pas en profiter?
Bien, la gestion de la rareté, on connaît, on sait bien faire, nous sommes nés dedans.
En fait, quand je dis gestion de la rareté, il faut d’abord reconnaître que nous avons appris à créer de la rareté. Ce faisant nous avons augmenté la valeur de nos produits artificiellement. Ce qui est rare est cher dit le proverbe, si je révèle le secret, je perds mon avantage, mon pouvoir sur l’autre. Donc je crée de la rareté pour me créer du pouvoir, car j’aime ça, ou plus simplement, j’en ai besoin.
Je me rappelle mon enfance, si je prêtais mon nouveau jouet à un ami, alors c’est comme si le jouet ne m’avait pas été offert, et que je n’avais pas de raison d’être heureux par rapport à mon ami, puisque je partage le jouet avec lui. Nous créons et quantifions notre bonheur par rapport à l’autre, et non avec l’autre. Ainsi plus j’en ai par rapport à l’autre, moins je me sens mal, ou en tout cas, moins je me pose de questions sur pourquoi j’ai besoin d’en avoir plus.
Piste de réflexion pour plus tard: comment créer et quantifier mon bonheur AVEC l’autre?
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Plus emmerdant maintenant, comment gérer l’abondance?
Depuis quelques années, nous nous rendons compte avec Internet et la dématérialisation que la copie est une multiplication d’un produit. A chaque copie que je réalise, je crée une nouvelle pièce, proche de l’originale, utilisable, modifiable, et tout ça pour un coût proche de zéro, emmerdant non? Ceux qui avaient l’habitude de pas prêter leurs jouets se retrouvent sur le cul, d’un coup, leurs jouets sont potentiellement à la disposition de tous. Que faire? Ce qui se passe grâce à l’internet et à la dématérialisation est crucial, car en nous rendant compte des règles que nous adopterons pour l’immatériel et l’abondant, ça remet également en cause les règles que nous avions établi pour le matériel supposé rare.
Dans la gestion de la rareté, je mettais des barrières à l’entrée, suscitais l’envie, et faisais payer pour l’accès, l’entretien, le service etc… Quid de l’abondance?
Si les barrières sont inutiles, puisqu’il est démultipliable, si l’accès est possible à tous car sa copie est facile, alors l’immatériel devient comme l’air ou comme l’eau. Il est difficile de le quantifier, de le mesurer, de dire ce qui appartient à qui. Pourtant il a bien un créateur.
Le produit immatériel (CD, MP3, DIVX, Livre numérique, PDF, Slides, Code source, Photo etc..) une fois créé et libéré ne peut plus être mis en cage. Les bits veulent être libres nous disait Chris Anderson dans Free. Ce que cela veut dire est que le rapport de force entre payer le prix d’entrée et faire sauter la barrière à l’entrée est perdu d’avance en défaveur du créateur. Quelque soit son choix, le bit voudra être libre, et le créateur devra lâcher le contrôle, partager son œuvre avec tous.
La différence principale des produits ou idées basées sur des économies de l’abondance par rapport à l’économie matérielle est que les coûts de propagation, de multiplication et distributions sont très faibles. Les coûts de création varient encore, pouvant aller du code très complexe et cher, du traité de recherche avec les frais du labo à l’ordinateur et aux 3 logiciels libres qu’utilise un groupe de musique qui produit son album tranquilo.
Reprenons donc, les coûts de distribution sont relativement faibles et continuent de diminuer et les coûts de création varient très amplement d’un produit à l’autre. Si on essaye de mettre des barrières à l’entrée: code, label, copyright, sécurité, DRM, on suscite un désir plus fort. On suscite un désir, mais également une frustration, car ça ne coûte pas plus cher de partager le jouet avec d’autres. La différence dans l’immatériel est le marché qui, par le transport des données et des flux d’informations touche une cible plus large, plus internationale de façon immédiate. Sur la base des mécanismes de gestion de la rareté que nous avons: plus le créateur dépense et investit d’argent et de temps dans son produit, plus il va vouloir le chérir et le protéger pour en tirer un bénéfice maximum, ce faisant il va créer un énorme désir chez les consommateurs qui vont investir beaucoup de temps pour s’unir, s’allier et faire sauter le verrou. C’est ce qu’on observe avec le partage des œuvres protégées, et c’est bien normal. Puisque l’accès et la distribution peuvent être rendus possibles à tous moyennant un travail d’équipe (certes hors la loi), on voit émerger une force collective sans tête qui vise à un seul but: partager cette création, faire sauter les barrières. Pour le matériel, cela représentait du vol, car il fallait se déplacer et aller dans la boutique pour voler une version de l’œuvre ou du produit. Pour l’immatériel, la multiplication ou copie ne coûte pas plus cher, plus le produit est bon plus la tentation est grande, la barrière qui empêche s’amenuise, rien ne peut retenir l’envie de culture, la soif de connaissance, la curiosité, le besoin de partager. L’immatériel remet tout en cause: le bit est plus volatile que l’atome, il a beaucoup plus de liberté et ne supporte pas le contrôle.
Création — Distribution — Réception
Seulement, dans cette économie de l’abondance, on ne fait pas la différence entre le dernier star wars, dont le budget est monstrueux et le groupe de musique du coin. Les énergies investies à l’entrée ne sont pas les mêmes. On peut essayer de faire la différence, en sensibilisant le consommateur final, mais pour le toucher, il faudrait d’abord qu’il reprenne confiance, pour cela, il faut lui donner, et ne pas lui prendre, il faut lui partager, sans publicité, sans intention autre que de lui faire un cadeau. C’est quand les comportements changent, que l’on en vient à se poser des questions, pourquoi cette inversion subitement, pourquoi le prochain film serait-il donné, avec prix libre, partage de la prise de risque sur son financement? Il faudra du temps que ça change, mais les premiers qui s’y essaieront s’allieront avec leurs publics. Les autres iront dans une lutte de contrôle et seront de plus en plus raide au lieu de s’ouvrir et de se remettre en question.
Les besoins et investissements de départ étant complètement différents à des mesures bien diverses, il serait temps que la transparence et la cohérence fassent leur apparition et nous donnent les chiffres qui nous permettront de savoir combien cela coûte réellement. Si je connais le besoin et l’investissement original d’un groupe que j’adore, je saurai à quelle hauteur les soutenir et j’arrêterai de pirater leur musique. Je ne veux pas qu’ils deviennent millionnaires, juste les remercier honnêtement pour leur apport et leur permettre de continuer à vivre et développer leurs créations.
Seulement, dans un monde où l’argent est rare, j’ai plus de temps, de passion et de curiosité à recevoir et écouter les créations des autres que d’argent pour les soutenir à la hauteur de leurs besoins réels. (oui, ça se complique, sinon ça serait trop simple) On note donc au passage qu’il nous faut nous libérer de la rareté artificielle de l’argent (média de mesure et d’échange des richesses), pour pouvoir trouver des systèmes libres, abondants et non centralisés de gestion de l’argent.
« Je désire pouvoir apporter mon soutien à ce créateur, de quelque façon que ce soit, autrement qu’en lui donnant des euros, ressource que j’ai en quantité limitée. Cependant j’ai du temps, de l’énergie et des qualités que je dois pouvoir lui offrir pour contribuer à la rétribution du bonheur reçu. »
De fait, le créateur qui est malin stimulera, sensibilisera, rassemblera, et investira l’énergie de la communauté qui l’écoute, l’aime et l’adore. Il créée ainsi un flux direct auto alimenté: son auditoire sont ses investisseurs, il prend en main la gestion de la distribution et fait sauter tant que possible les intermédiaires dans le but de réduire au maximum ses coûts.
Dans tous les cas, pour ce qui est de la certitude de récupérer l’énergie investie. Il n’y en a jamais eue. La seule solution est de transformer le risque que nous prenons en Amour de l’art, en volonté de partage et alors, ce ne sont pas des euros ou des revenus matériels que nous récolterons, mais une joie bien plus immense et profonde, d’avoir servi, partagé et créé pour l’humanité, ce que nous savons faire de mieux, avec Amour.
Je sens que je vais te citer dans mon mémoire.
@Vince: Tu sais à quel point j’aime partager. En me citant tu te portes diffuseur de ce message. Tu enrichis le débat et me permet d’avancer dans ma réflexion. Si certaines choses sont fausses, tu partageras en retour et nous avancerons ensemble.. Merci pour cet honneur!
Très intéressant. J’aime beaucoup l’évolution du billet qui va d’un égoïsme marchand au partage des biens communs.
Serait-il possible de le reproduire sur le Framablog ?
(j’ai bien vu que la licence m’y autorise mais c’est plus mieux, et courtois, que de demander directement l’accord de l’auteur, non !)
@aKa: Salut salut!
Oui avec grand plaisir, c’est sympa de ta part de demander, j’en serai ravi et honoré! Merci beaucoup!
J’aime bien, très intéressant. Quand est il de radiohead, leur idée a t elle marché? Crois tu que tout le monde peut jouer le jeu? C’est un peu comme la boisson à volonté dans les hungry jack, pourquoi prendre un grand gobelet quand c’est à volonté? Que puis je apporter une génération après si le choix est libre? Il faut de toute évidence un système de régulation avec un minimum pour financer l’investissement, minimum très bas, en dessous du prix normal. Si je rémunère le bien acquis par autre chose, un savoir par exemple, comment quantifier se savoir?
@tom: Yo Tom!
Merci pour ton commentaire. Pour Radiohead, d’après chris anderson ça a marche du tonnerre. évidemment tout le monde ne peut faire ça et ils ont eu besoin d’être connus pour pouvoir larguer les amarres des maisons de disques.
Dans le fait de retirer la barrière a l’entrée tu rends l’oeuvre accessible a tous pour pas un rond. Après si ça leur plait et s’ils ont capte le sens, c’est aux publics de remercier les artistes ou createurs en fonction de 2 choses: ce que ça vaut a leurs yeux et l’argent qu’Ils ont en poche. De plus si l’artiste ou le créateur te donne un ordre de grandeur de ses besoins ou du prix idéal alors tu as le produit et l’info pour le rétribuer a sa juste valeur. Te manque plus que le cœur et l’argent.
Salut,
D’abord bravo pour cet article, je prends beaucoup de plaisir à lire ce type de réflexion et donc tes différents articles.
Après lecture y’a plusieurs trucs qui me chiffonent quand même, j’espère que tu pourras m’éclairer.( Et je m’excuse d’avance si je dis des conneries, j’ai pas encore lu tout tes articles mais j’y arrive :p). Le système de l’abondance que tu décris ne marche que dans le cas de internet si j’ai bien compris, il n’est donc applicable qu’à cette dimension et pour l’instant les biens continuent d’être échangés sur le principe de rareté non?
Le risque que ce système ne marche pas car les gens ne donnent pas, tu veux le pallier par un changement de mentalité si j’ai bien compris non? Ne pourrait on pas voir apparaître une catégorie de gens qui nefont que profiter de ce système sans y participer? (Genre je télécharge tout ce que je veux mais je ne donne rien en retour.)
@Kévin: Salut Kévin,
Merci pour ton message, ne t’en fais pas pour les trucs qui te chiffonnent, ce sont les remarques et désaccords qui font avancer et perfectionnent cette recherche..
J’ai l’intime conviction que ce système d’abondance est possible dans le monde matériel comme dans le monde immatériel. Ce qui est plus évident, devant nos yeux c’est que sur Internet, comme tout est démultipliable, alors on le partage volontiers.
Je souhaite, (avec d’autres bien sûr, c’est pas comme si j’étais le seul!) montrer, expliquer, comment il est possible d’appliquer ces principes sur les biens matériels également.
Nous avons des créateurs et des récepteurs en nombre suffisant, Internet nous donne de quoi multiplier et diffuser les créations pour ce qui est dématérialisable.
Nous avons des créateurs et des récepteurs en nombre suffisant dans le monde matériel, le transport et une organisation intelligente nous permettent de PARTAGER et ECHANGER ce qui est matériel.
Pour que ça marche sur Internet, il faut organiser une redistribution du flux d’énergie depuis ceux qui reçoivent les oeuvres à ceux qui les ont produites. Même chose pour la matière.
Donc au final, une fois qu’on aura trouvé une organisation de rétribution de la valeur pour Internet, nous pourrons le transposer dans la matière.
Il y a bien un décalage de mentalité, et pour accepter de partager et d’échanger ce qui est matériel, il faut faire un saut quantique en 3 points:
1) ouvrir les yeux – prendre conscience que nous avons assez pour tous, voir et reconnaître l’abondance
2) ouvrir le cortex – pour organiser cette redistribution de la valeur, et ces échanges et partages
3) ouvrir le coeur – pour être partager et être conscient de notre bonheur
La peur que quelqu’un profite sans travailler est un symptôme de notre société de rareté. Comme le fait de donner un billet de 50€ à une personne sur 10 rend les 9 autres jalouses. Ce n’est pas la contribution de l’autre au système qui me rend heureux, c’est la mienne.
Si j’ai plaisir à travailler et à donner aux autres, je suis heureux dans la création, heureux de donner, heureux de recevoir de ceux qui sont heureux. Si tout le monde donne et partage, alors c’est celui qui garde pour lui et ne partage pas qui se sentira triste, pas toi.
Le système seul ne sert à rien, c’est l’homme qui fait le système, à nous de changer d’abord, pour pouvoir changer le système.
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